;
L’ennemi commun des peuples
La Russie et la Chine vont-elles retenir leur puissance de feu jusqu’à ce que la guerre soit le seul choix possible ?
par Paul Craig Roberts
lundi 6 octobre 2014, par Comité Valmy
La Russie et la Chine vont-elles retenir leur puissance de feu jusqu’à ce que la guerre soit le seul choix possible ?
Un billet de Paul Craig Roberts… Je rappelle que cet économiste et journaliste paléoconservateur américain a été sous-secrétaire au Trésor dans l’administration Reagan (1981-1982), et est un des pères fondateurs des Reaganomics. Il a également été rédacteur en chef adjoint au Wall Street Journal. Sa vision décape, en général… Je n’adhère pas à toute, bien évidemment, mais elle permet à chacun d’aiguiser son esprit critique… C’est toujours intéressant de voir un conservateur libéral américain de premier plan, anticommuniste primaire, tenir des propos de bons sens que nos belles âmes (néo-conservatrices) de gôche sont bien incapables de comprendre… |
Le discours d’Obama aux Nations Unies du 24 septembre est la chose la plus absurde que j’ai entendue de toute ma vie. Il est absolument stupéfiant que le Président des États-Unis puisse se présenter devant le monde entier pour tenir des propos que tout un chacun sait être de fieffés mensonges, tout en faisant simultanément la démonstration des doubles standards de Washington et de sa conviction que, de par le caractère exceptionnel et indispensable des États-Unis, Washington seul dispose du droit de violer toutes les lois.
Il est encore plus stupéfiant qu’aucune personne présente ne se soit levée pour quitter l’assemblée.
En fait, les diplomates du monde entier sont restés assis et ont écouté les mensonges éhontés du pire terroriste mondial. Ils ont même applaudi pour montrer leur approbation.
Le reste du discours n’était que pure foutaise : « Nous sommes à la croisée des chemins », « jalons du progrès », « risques réduits de guerre entre puissances majeures », « des centaines de millions tirés hors de la pauvreté », et tandis qu’ebola ravage l’Afrique, « nous avons appris à soigner la maladie et dompter l’énergie du vent et du soleil ». Désormais nous sommes Dieu. Ce “nous” est constitué de ce “peuple exceptionnel” – les Américains. Personne d’autre ne compte. Il n’y a que “nous”.
Il est impossible de choisir la déclaration la plus absurde du discours d’Obama, ou le mensonge le plus révoltant. Serait-ce celui-ci ? « L’agression russe en Europe nous rappelle les jours où les grandes nations piétinaient les petites pour satisfaire leurs ambitions territoriales ».
Ou bien celui-là ? « Après le lancement de manifestations populaires et d’appels à réformes par le peuple d’Ukraine, leur président corrompu a pris la fuite. La Crimée a été annexée contre la volonté du gouvernement de Kiev. La Russie a déversé des armes dans l’est de l’Ukraine, alimentant un mouvement séparatiste violent et un conflit qui a fait des milliers de morts. Lorsqu’un avion de transport civil a été abattu à partir de territoires que ces milices contrôlaient, elles ont refusé l’accès au site du crash pendant des jours. Lorsque l’Ukraine a commencé à reprendre le contrôle de son territoire, la Russie a cessé de faire semblant de se contenter de soutenir les séparatistes et a fait franchir la frontière à ses troupes. »
Le monde entier sait que Washington a renversé le gouvernement ukrainien élu, que Washington refuse de divulguer ses photos satellite de la destruction de l’avion de ligne malaisien, que l’Ukraine refuse de divulguer les instructions de son contrôle aérien à l’avion, que Washington a empêché une véritable enquête sur sa destruction, que les experts européens présents sur place ont témoigné que les deux côtés du cockpit de l’appareil montraient des traces de mitraillage, signes que l’avion a été abattu par les jets ukrainiens qui le suivaient. De fait, il n’y a eu aucune explication des raisons pour lesquelles deux jets ukrainiens talonnaient un avion de ligne guidé par un centre de contrôle aérien ukrainien.
Le monde entier sait que si la Russie avait eu des ambitions territoriales, alors lorsque l’armée russe, lors de l’attaque de l’Ossétie du Sud, avait vaincu l’armée géorgienne, entraînée et équipée par les Américains, elle aurait gardé la Géorgie et l’aurait réintégrée à la Russie, où elle fut durant des siècles.
Notez que les bombardements et invasions de sept pays en treize ans par Washington sans déclaration de guerre ne constituent pas une agression. Il y a agression lorsque la Russie accepte le résultat du référendum des habitants de la Crimée qui ont voté à 97 % en faveur d’une réunification avec la Russie, dont la Crimée a fait partie pendant des siècles, avant que Krouchtchev ne la greffe à la République Socialiste Soviétique d’Ukraine en 1954, alors même qu’Ukraine et Russie ne formaient qu’un seul pays.
Et le monde entier sait que, comme l’a déclaré le leader séparatiste de la République de Donetsk, « Si des unités militaires russes combattaient avec nous, ce n’est pas la chute de Marioupol qui ferait la Une mais celle de Kiev et de Lviv. »
Quel est « le cancer de l’extrémisme violent » : l’EIIL, qui a décapité quatre journalistes, ou bien Washington, qui a bombardé sept pays au cours du XXIe siècle, assassinant des centaines de milliers de civils et causant des millions de réfugiés ?
Qui est le pire terroriste : l’EIIL, un groupe qui redessine les frontières artificielles créées par les colonialistes britanniques et français, ou bien Washington et sa doctrine Wolfowitz, à la base de la politique étrangère des États-Unis, qui proclame que l’objectif principal de Washington est l’hégémonie américaine sur le monde ?
L’ElIL est la création de Washington. L’ElIL est formé des djihadistes dont Washington s’est servi pour renverser Kadhafi en Libye puis a envoyé en Syrie pour renverser Assad. Si l’ElIL est une « nébuleuse de la mort », un « étendard du mal » avec lequel toute négociation est impossible, comme Obama le déclare, c’est une nébuleuse de la mort créée par le régime d’Obama lui-même. Si l’ElIL est la menace qu’Obama proclame, comment le régime qui a créé cette menace peut-il être crédible en menant la guerre contre elle ?
Obama n’a jamais évoqué dans son discours le problème majeur qu’affronte le monde. Ce problème est l’incapacité de Washington à accepter l’existence de puissances indépendantes telles que la Russie et la Chine. La doctrine néoconservatrice Wolfowitz impose aux États-Unis de maintenir son statut d’unique superpuissance. Cette tâche nécessite que Washington « empêche toute puissance hostile de dominer une région dont les ressources pourraient êtres suffisantes pour générer une puissance mondiale si elles étaient placées sous un contrôle unifié ». Une “puissance hostile” est n’importe quel pays qui a suffisamment de pouvoir ou d’influence pour être en mesure de limiter l’exercice de la puissance de Washington.
La doctrine Wolfowitz cible explicitement la Russie : « Notre objectif primordial est d’empêcher la ré-émergence d’un nouveau rival, aussi bien sur le territoire de l’ancienne Union soviétique qu’ailleurs. » Est défini comme « rival » tout pays capable de défendre ses intérêts ou ceux de ses alliés contre l’hégémonie de Washington.
Dans son discours, Obama a dit à la Russie et à la Chine qu’elles pouvaient faire partie de l’ordre mondial défini par Washington, à condition d’accepter l’hégémonie de Washington et de n’interférer en aucune manière avec son contrôle. Quand Obama déclare à la Russie que les États-Unis coopéreront avec elle « si la Russie change de cap », Obama entend par là que Moscou doit accepter la primauté des intérêts de Washington sur les siens propres.
Cette position est très clairement inflexible et irréaliste. Si Washington s’y tient, alors la guerre avec la Russie et la Chine en découlera.
Obama a dit à la Chine que Washington entendait continuer à être une puissance dans le Pacifique au sein de la sphère d’influence chinoise, « en soutenant la paix, la stabilité et la liberté des échanges commerciaux entre les nations » grâce à la construction de nouvelles bases militaires américaines, aériennes et navales, des Philippines au Vietnam, de sorte que Washington puisse contrôler les échanges de ressources dans le Sud de la Mer de Chine et isoler la Chine à loisir.
Pour autant que je puisse en juger, ni le gouvernement russe ni le gouvernement chinois n’ont pris la mesure de la menace que représente Washington. La volonté américaine d’hégémonie mondiale semble trop farfelue pour que les Russes et les Chinois la prennent au sérieux. Mais elle est bien réelle.
En refusant de prendre la menace au sérieux, la Russie et la Chine n’ont pas eu les réactions qui auraient été susceptibles de mettre fin à la menace sans recours à la guerre.
Par exemple, le gouvernement russe pourrait très probablement détruire l’OTAN en signifiant aux gouvernements européens qu’en réponse aux sanctions imposées par Washington et l’UE, la Russie ne vendrait pas de gaz naturel aux membres de l’OTAN. Au lieu d’utiliser ce pouvoir, la Russie a sottement laissé l’UE accumuler des stocks historiques de gaz naturel qui sont suffisants pour permettre aux habitations et à l’industrie de passer l’hiver prochain.
La Russie a-t-elle sacrifié ses intérêts nationaux pour l’argent ?
L’axe du pouvoir de Washington et de son hégémonie financière repose sur le rôle du dollar comme monnaie de réserve mondiale. La Russie et la Chine ont été lentes, voire négligentes du point de vue de la défense de leur souveraineté, à profiter des occasions d’affaiblir ce pilier du pouvoir de Washington. Par exemple, les palabres des BRICS sur l’abandon du système de paiement en dollars a davantage consisté en paroles qu’en actes. La Russie ne demande même pas aux états européens vassaux de Washington de payer leur gaz naturel en roubles.
On pourrait penser qu’un pays comme la Russie, qui subit cette hostilité extrême et cette diabolisation par l’Occident utiliserait au moins ses ventes de gaz pour soutenir sa propre monnaie plutôt que le dollar de Washington. Si le gouvernement russe continue à soutenir les économies de pays qui lui sont hostiles et à permettre aux populations d’Europe de ne pas geler cet hiver, est-ce que la Russie, en échange de cette extraordinaire aide financière à ses ennemis, ne devrait pas au moins soutenir sa propre monnaie en demandant des paiements en roubles ? Malheureusement pour la Russie, elle est infestée d’économistes néolibéraux formés par l’Occident, qui représentent les intérêts de l’Occident et non ceux de la Russie.
Quand l’Occident constate une aussi extraordinaire faiblesse de la part du gouvernement Russe, Obama peut aller à l’ONU et dire les mensonges les plus flagrants au sujet de la Russie sans aucune conséquence pour les États-Unis ou l’Europe. L’inaction russe alimente la diabolisation de la Russie. La Chine n’a pas mieux réussi que la Russie à exploiter cette occasion de déstabiliser Washington. Par exemple il est avéré, comme Dave Kranzler et moi l’avons plusieurs fois démontré, que la Réserve Fédérale utilise ses agents bancaires du COMEX (“bullionbanks”) pour faire chuter le cours de l’or et ainsi protéger la valeur du dollar du résultat des politiques de la Réserve Fédérale. La méthode consiste à faire vendre à découvert d’énormes quantités par ces banques durant les périodes où le volume de transaction est faible ou inexistant afin de faire baisser le cours de l’once [NdT : et provoquer une ruée bancaire sur le dollar].
La Chine ou la Russie, voire les deux, pourraient tirer avantage de cette tactique en achetant toutes les positions de ventes à découvert ["naked shorts"], plus toutes les positions de ventes couvertes ["covered shorts"], s’il y en a, et exiger leur livraison plutôt que conclure les contrats en cash. Ni le New York Comex, ni le marché londonien ne pourraient en faire livraison, et le système imploserait. La conséquence de cette incapacité pourrait être catastrophique pour le système financier Occidental, mais au moins, elle démontrerait la corruption des institutions financières occidentales.
Ou bien la Chine pourrait envisager un coup plus fatal. Choisissant un moment d’effervescence ou d’instabilité des marchés financiers américains, elle pourrait déverser sur le marché les bons du Trésor qu’elle détient pour plus de mille milliards de dollars, ou encore vendre toutes ses parts d’instruments financiers américains. La Réserve Fédérale et le Trésor pourraient essayer de stabiliser les cours des dits instruments en créant l’argent nécessaire à leur rachat. Cette création monétaire augmenterait les inquiétudes sur la valeur réelle du dollar, et la Chine pourrait alors remettre sur le marché les plus de mille milliards de dollars produits par la vente de ses bons du Trésor. La Réserve Fédérale ne pouvant pas imprimer de monnaies étrangères pour acheter ses dollars, la valeur d’échange du dollar s’effondrerait et, avec elle, son usage comme monnaie de réserve mondiale. Les États-Unis deviendraient juste un pays ruiné de plus et incapable de payer ses importations.
On peut penser que Washington pourrait obtenir du Japon et de la Banque Centrale Européenne l’impression des yens et euros nécessaires pour racheter massivement les dollars déversés. Mais cela coulerait probablement le yen et l’euro avec le dollar.
Il y aurait alors une fuite vers les monnaies chinoises et russes, et l’hégémonie financière quitterait l’Occident.
Par leur retenue, la Russie et la Chine encouragent l’agressivité de Washington à leur encontre. La semaine dernière, Washington a envoyé des milliers de ses agents travaillant dans des ONG dans les rues de Moscou pour protester contre « la guerre de Poutine en Ukraine ». Sottement, la Russie a permis à des capitaux étrangers d’acquérir ses journaux, qui maintenant mettent continuellement en accusation Poutine et le gouvernement russe auprès des lecteurs russes.
La Russie a-t-elle vendu son âme et sa communication pour des dollars ? Est-ce que quelques oligarques ont bradé la Russie pour des dépôts bancaires en Suisse ou à Londres ?
Tant la Chine que la Russie ont des populations musulmanes où la CIA œuvre en encourageant le séparatisme, la rébellion et la violence. Washington a l’intention de fragmenter la Fédération Russe en pays plus petits et plus faibles qui ne pourraient pas barrer la route à son hégémonie. La crainte, chez les Chinois et les Russes, de mouvements de dissension au sein de leurs populations musulmanes, a poussé les deux gouvernements à faire la très sérieuse erreur stratégique de s’aligner sur Washington contre l’EIIL et donc sur sa politique visant à protéger le statu quo de Washington dans le monde musulman. [...]
La Chine fait l’objet de toutes sortes d’attaques. La Fondation Rockefeller recrute des agents dans les universités chinoises, comme m’en informent des universitaires chinois. Les entreprises américaines localisées en Chine forment des comités d’administration chinois où elles installent des parents de membres officiels locaux ou régionaux du parti. La loyauté au gouvernement central est ainsi reportée sur l’argent américain. En outre, il y a en Chine de nombreux économistes formés aux États-Unis qui sont imprégnés par l’économie néolibérale représentant les intérêts de Washington.
Il y a tant, en Russie qu’en Chine, de pourcentages significatifs de leur population qui souhaiteraient être occidentales. L’échec du communisme dans les deux pays et le succès de la propagande américaine de la guerre froide ont engendré des loyautés vis-à-vis de l’Amérique, plutôt que vis-à-vis de leurs propres gouvernements. En Russie, ils sont connus sous le terme d’« intégrationnistes atlantistes ». Il s’agit de Russes qui souhaitent être intégrés à l’Occident. Je connais moins bien leurs équivalents chinois, mais parmi les jeunes, le matérialisme occidental et l’absence de contraintes en matière sexuelle sont attrayants.
L’incapacité des gouvernements russes et chinois à résoudre la menace que pose pour leur existence d’États souverains l’insistance néo-conservatrice à réaliser une hégémonie mondiale américaine augmente le risque de conflit nucléaire. Si la Russie et la Chine entrent trop tard dans la partie, la seule alternative sera la guerre ou la soumission à l’hégémonie de Washington. Comme il est impossible que l’OTAN puisse envahir et occuper la Russie et la Chine, la guerre ne peut être que nucléaire.
Pour éviter cette guerre, qui, comme la plupart des experts l’ont démontré, mettrait un terme à la vie sur terre, les gouvernements russes et chinois doivent rapidement adopter une position beaucoup plus réaliste dans leur estimation du mal qui réside dans ce que Washington a transformé en pire État terroriste du monde : les États-Unis.
Il est possible que la Russie, la Chine et le reste du monde soient sauvés par l’effondrement de l’économie américaine. L’économie des États-Unis est un château de cartes. Le vrai revenu médian [terme technique statistique] des ménages est en déclin à long terme. Les universités produisent des étudiants qui ont un diplôme et de lourdes dettes, mais pas d’emploi. Le marché des bons du Trésor est truqué par la Réserve Fédérale, qui a besoin de truquer les marchés des lingots pour protéger le dollar. Le marché boursier est truqué par le déversement d’argent de la Réserve Fédérale, par la Plunge Protection Team et par les sociétés qui rachètent leurs propres titres. Le dollar est soutenu par la tradition, l’habitude et les swaps de devises.
Le Château de Cartes américain reste debout uniquement du fait de la tolérance du monde pour une corruption et une désinformation immenses et de l’avidité satisfaite par l’argent provenant d’un système truqué.
La Russie et/ou la Chine pourraient balayer ce Château de Cartes dès lors que l’une d’entre elles ou les deux aurait un leadership qui en serait capable.
Paul Craig Roberts
Sources :
Paul Craig Roberts, PaulCraigRoberts.org,
http://www.comite-valmy.org/spip.php?article5107
25/09/2014
.
Le président de la République française vu par un caricaturiste du journal britannique The Guardian. Sans doute encore une preuve « d’anti-américanisme primaire » pour des « journalistes » comme Léa Salamé de France 2…
.
Vous voulez être la chienne de l’Oncle Sam ? Vous en paierez le prix ! Chers amis,
Je fais juste une courte pause, depuis ma vie dans le « monde réel », afin de commenter les nouvelles du jour, qui sont d’importance : la Russie lance un embargo total de 12 mois sur l’importation de bœuf, porc, fruits et légumes, volaille, poisson, fromage, lait et produits laitiers en provenance de l’Union européenne, des États-Unis, de l’Australie, du Canada et du Royaume de Norvège. La Russie met également en place une interdiction de son espace aérien aux compagnies aériennes européennes et américaines qui survolent la Russie pour se rendre en Asie orientale, à savoir, dans la Région Asie-Pacifique, et envisage de modifier ce que l’on appelle les points d’entrée et de sortie de l’espace aérien russe pour les vols réguliers et les charters européens. En outre, la Russie est prête à revoir les règles d’utilisation des routes transsibériennes, et mettra également fin aux discussions avec les autorités aériennes américaines sur l’utilisation des routes de Sibérie. Enfin, à partir de cet hiver, il se peut que nous révoquions les droits supplémentaires accordés par les autorités aériennes russes au-delà de ce que prévoyaient les accords précédents. C’est un développement tellement intéressant et important qu’il nécessite une analyse beaucoup plus subtile que le simple calcul brut de ce que cela pourrait coûter à l’Union Européenne ou aux États-Unis. Je ne vais pas tenter un tel calcul, mais je tiens en revanche à souligner les éléments suivants :
Tout d’abord, il s’agit d’une réponse typiquement russe. Il y a une règle de base que chaque enfant russe apprend à l’école, dans les combats de rue, dans l’armée ou ailleurs : ne jamais promettre et de ne jamais menacer ; agir et c’est tout. Contrairement aux politiciens occidentaux qui ont passé des mois à brandir des menaces de sanctions, les Russes se sont contentés de dire, de manière plutôt vague, qu’ils se réservaient le droit de répondre. Et puis, BANG!, cet embargo étendu et ambitieux qui, contrairement aux sanctions occidentales, aura un impact majeur sur l’Occident, mais bien davantage encore sur la Russie (plus à ce sujet dans un instant). Cette technique du « pas de mots, seulement de l’action » est conçue pour maximiser la dissuasion d’éventuels actes hostiles : puisque les Russes se gardent d’expliciter les mesures de représailles qu’ils pourraient être amenés à prendre, Dieu seul sait ce qu’ils feront ensuite ! Pour couronner le tout, et augmenter le sentiment d’insécurité ainsi suscité, les Russes ont seulement fait savoir que c’était là les mesures dont ils avaient convenu, mais ils n’ont précisé ni quand elles seraient introduites, ni si c’était partiellement ou totalement, ni contre qui. Ils ont également fortement laissé entendre que d’autres mesures étaient à l’étude, c’est-à-dire dans les tuyaux.
Deuxièmement, les sanctions sont merveilleusement ciblées. Les Européens ont agi comme des prostituées sans colonne vertébrale et sans cervelle dans toute cette affaire : ils ont été opposés à des sanctions contre la Russie dès le premier jour, mais ils n’ont pas eu le courage de le dire à l’oncle Sam, de sorte qu’à chaque fois ils ont fini par céder. Le message russe à la communauté européenne est simple : vous voulez être la chienne [NdT : ou la pute] de l’Oncle Sam ? Vous en paierez le prix ! Cet embargo va particulièrement mettre à mal l’Europe du Sud (Espagne, France, Italie, Grèce), dont la production agricole va souffrir grandement. Ces pays se trouvent également être les plus faibles de l’Union Européenne. En les frappant, la Russie va susciter le maximum de frictions – même si dans une certaine mesure, les frictions sont inévitables – à l’intérieur de l’Union Européenne sur la question des sanctions contre la Russie.
Troisièmement, non seulement les transporteurs de l’Union Européenne seront désormais handicapés par des coûts et un temps de vol bien plus élevés sur le très important itinéraire Europe-Asie, mais il n’en sera pas de même des transporteurs asiatiques, ce qui confèrera à ces derniers un double avantage concurrentiel. Comment est-ce une façon de récompenser un côté tout en frappant l’autre ? L’Union Européenne a mis une compagnie aérienne russe en difficulté pour ses vols à destination de la Crimée (Dobrolet) et à cause de cela, c’est toute la communauté des compagnies aériennes de l’Union qui pourrait se trouver face à un énorme désavantage vis-à-vis de ses homologues asiatiques.
Quatrièmement, la Russie a utilisé ces sanctions pour faire quelque chose de vital pour l’économie russe. Je m’explique : après l’effondrement de l’URSS, l’agriculture russe était en plein désarroi, et le bonhomme Eltsine n’a fait qu’empirer les choses. Les agriculteurs russes ne pouvaient tout simplement pas rivaliser avec les grosses entreprises du secteur agro-industriel avancé de l’Ouest, qui ont bénéficié d’énormes économies d’échelle, d’une recherche coûteuse et de haute technologie en matière de produits chimiques et biologiques, qui avaient une chaîne complète de production (souvent au sein de grandes exploitations) et une capacité de commercialisation d’une qualité supérieure. Le secteur agricole russe, lui, souffrait gravement, désespérément, d’un manque de barrières douanières et d’une absence de tarifs qui lui eussent permis d’être protégé des géants capitalistes occidentaux ; au lieu de cela, la Russie s’est astreinte volontairement à respecter les termes de l’OMC et finalement en est devenue membre. Aujourd’hui, la Russie utilise cet embargo total pour donner à l’agriculture russe un temps qui lui est absolument indispensable afin d’investir et de prendre une part beaucoup plus importante sur le marché russe. Gardez également à l’esprit que les produits russes sont sans OGM, et qu’ils ont beaucoup moins de conservateurs, d’antibiotiques, de colorants, d’exhausteurs de goût ou encore de pesticides. Comme de surcroit ils sont locaux, ils n’ont pas besoin, pour être mis sur le marché, d’utiliser le type de techniques de réfrigération/conservation qui font généralement que les produits ont un goût de carton. En d’autres termes, les produits agricoles russes ont bien meilleur goût, même si cela ne suffit pas pour être compétitifs. Cet embargo leur donne maintenant un puissant élan pour investir, se développer et conquérir des parts de marché.
Cinquièmement, il y a 100 pays qui n’ont pas voté avec les États-Unis sur la Crimée. Les Russes ont déjà annoncé que ce sont les pays avec lesquels la Russie négociera pour leur fournir les produits qu’ils ne peuvent pas produire localement. Une belle récompense pour avoir tenu tête à l’Oncle Sam.
Sixièmement, petit mais savoureux : avez-vous remarqué que les sanctions adoptées par l’Union Européenne ont été mises en place pour trois mois seulement, et qu’« elles doivent être réexaminées » plus tard ? En introduisant un embargo de 12 mois, la Russie envoie également un message clair : qui, pensez-vous, va bénéficier de ce gâchis ?
Septièmement, il est simplement faux de calculer que le pays X de l’Union Européenne exportait Y millions de dollars en Russie et d’en conclure que l’embargo russe va donc coûter Y millions de dollars au pays en question. Pourquoi est-ce une erreur ? Parce que la non-vente de ces produits va entraîner la création d’un surplus qui, à son tour, va nuire à la demande ou, si la production est réduite, affectera les coûts de production (économies d’échelle). En revanche, pour un pays hypothétique Z non-membre de l’Union Européenne, un contrat avec la Russie pourrait signifier assez d’argent pour investir, moderniser et devenir plus compétitif, non seulement en Russie, mais sur le marché mondial, y compris dans l’Union Européenne.
Huitièmement, les pays baltes ont joué un rôle particulièrement agressif dans l’ensemble de l’affaire ukrainienne, et maintenant certaines de leurs industries les plus rentables (comme la pêche), qui étaient à 90 % dépendante de la Russie, devront fermer. Ces pays sont déjà en désordre, mais maintenant, ils vont aller encore plus mal. Encore une fois, le message qui leur est adressé est simple : vous voulez être la chienne de l’Oncle Sam ? Payez-en le prix !
Neuvièmement, et c’est ce qui est vraiment important, ce qui se passe est un découplage progressif de la Russie d’avec les économies occidentales. L’Occident a rompu une partie des liens militaires, aérospatiaux et financiers, la Russie a rompu les liens monétaires, agricoles et industriels. Gardez à l’esprit que le marché US/UE est en train de couler, touché par des problèmes systémiques profonds et d’énormes difficultés sociales. En un sens, la comparaison parfaite est celle du Titanic, dont l’orchestre continuait à jouer de la musique tandis que les choses suivaient leur cours. Et bien, la Russie est comme un passager à qui l’on aurait dit que les autorités du Titanic avaient décidé de le débarquer à la prochaine escale. Bon, ma foi, c’est vraiment dommage, n’est-ce pas ?
«horloge» par Josetxo Ezcurra
Dernier point, mais certainement pas le moindre, cette guerre du commerce, combinée avec la russophobie hystérique de l’Occident, réalise en faveur de Poutine une meilleure campagne de relations publiques que tout ce dont le Kremlin aurait pu rêver. Il suffit à ses préposés aux relations publiques de dire la vérité à la population russe : « nous avons fait les choses comme il fallait, nous avons joué exactement selon le manuel, nous avons fait tout notre possible pour désamorcer cette crise et tout ce que nous demandions, c’était : s’il vous plait, ne permettez pas le génocide de notre peuple en Novorossia ; et quelle a été la réponse de l’Occident à cela ? cette campagne de haine démentielle, des sanctions contre nous et un soutien inconditionnel aux nazis génocidaires de Kiev ». De plus, étant quelqu’un qui suit attentivement les médias russes, je peux vous dire que ce qui se passe aujourd’hui ressemble beaucoup, pour paraphraser Clausewitz, à la « poursuite de la Seconde Guerre mondiale, mais par d’autres moyens » ; ou en d’autres termes, à une lutte jusqu’à la fin entre deux régimes, deux civilisations, qui ne peuvent coexister sur la même planète et qui sont bloquées dans une lutte à mort. Dans ces conditions, vous pouvez vous attendre à ce que le peuple russe n’en soutienne Poutine que davantage encore.
En d’autres termes, dans un geste typique de judo, Poutine a utilisé à son avantage, et dans tous les domaines, l’élan pris par l’Occident dans sa campagne de dénigrement de la Russie et de dénigrement anti-Poutine : la Russie va en bénéficier économiquement et politiquement. Loin d’être menacé par une sorte de « Maidan nationaliste » cet hiver, le régime de Poutine sort renforcé par sa gestion de la crise (ses sondages sont plus élevés que jamais).
Oui, bien sûr, les États-Unis ont montré qu’ils disposent d’un très large éventail de possibilités pour nuire à la Russie, en particulier grâce à un système de tribunaux (aux États-Unis et dans l’Union Européenne) qui est aussi subordonné à l’état profond des États-Unis que les tribunaux de la République populaire démocratique de Corée le sont à leur propre « Cher Leader » de Pyongyang. Et la perte totale du marché ukrainien (pour les importations et les exportations) affaiblira également la Russie. Temporairement. Mais à long terme, cette situation est extrêmement avantageuse pour la Russie.
Dans l’intervalle, le Maidan brûle à nouveau, Andriy Parubiy a démissionné, les Ukies pilonnent les hôpitaux et les églises de Novorossia. Qu’y a-t-il de neuf ?
Quant à l’Europe, elle est en état de choc et furieuse. Franchement, ma propre Schadenfreude [NdT : jubilation] ne connaît pas de limites, ce matin. Que ces non-entités arrogantes que sont Van Rompuy, Catherine Ashton, Angela Merkel ou José Manuel Barroso se débrouillent avec la tempête de m*** que leur bêtise et leur veulerie ont créé.
Aux Etats-Unis, Jen Psaki a l’air persuadée que la région d’Astrakhan est à la frontière ukrainienne, tandis que le ministère de la Défense russe envisage « d’ouvrir des comptes spéciaux sur les réseaux sociaux et les ressources d’hébergement vidéo afin que le Département d’Etat américain et le Pentagone soient en mesure de recevoir des informations impartiales sur les actions de l’armée russe ».
Est-ce que tout cela sera suffisant pour suggérer aux dirigeants de l’Union Européenne qu’ils ont misé sur le mauvais cheval ?
Le Saker
Source : http://vineyardsaker.blogspot.fr/2014/08/you-wanna-be-uncle-sams-bitch-pay-price.html
..